Babacar Kème Tane l’inconscient groupal dans un pinceau.


Babacar Kème Tane l’inconscient groupal dans un pinceau A chaque fois qu’un membre de la communauté humaine prend la parole il parle en son nom propre, à partir de son histoire unique et personnelle qui l’habite malgré lui. Il est aussi le porte parole de l’ensemble du groupe auquel il appartient. Comme pour l’ADN, nous sommes porteurs de messages issus de ceux qui nous ont précédés et qui ainsi sont toujours présents dans notre vie quotidienne. Il ne s’agit pas d’hérédité au sens où certains utilisent ce terme comme d’une fatalité à laquelle nous ne pourrions nous soustraire, mais d’un patrimoine transmis tant au niveau des valeurs que par les choix personnels qui contribuent à faire avancer le scénario familial. La transmission d’un patrimoine autorise au choix le récipiendaire qui peux accueillir ou refuser l’héritage. Le preneur de parole ne parle pas seulement en son nom mais il est propulsé porte parole du groupe entier auquel il appartient. Il devient le passage obligé à la fois filtre, amplificateur, ou sourdine d’une multitude de voix qui l’habitent. Au commencement il y a eu la séparation. L’Eden était un, puis l’Europe et l’Afrique se sont séparées les cultures ont pris des ornières différentes. Ici quand un enfant vient au monde nous avons à accompagner la juste séparation progressive de la mère et de l’enfant pour qu’il atteigne un jour son autonomie et surtout pour que la mère ne l’invagine pas à nouveau, il serait perdu pour l’éternité. En Afrique, c’est tout le contraire qui se produit, lorsqu’un enfant vient au monde, c’est avant tout un étranger qui arrive dans le groupe, le plus souvent un ancêtre mort qui revient pour demander des comptes il va falloir l’amadouer et le faire accepter par les vivants qui n’ont pas toujours envie de revoir le sperme du Grand-Père se manifester à nouveau. Babacar est un médiateur qui laisse émerger ce qui l’habite au delà de lui-même, c’est un artiste autodidacte en ce sens qu’il n’a jamais appris dans une école les techniques de la peinture. Il ne connaît pas le travail sur le motif ou d’après modèle vivant, ce qui lui serait totalement inutile puisqu’il ne tente pas de reproduire ce qui l’entoure ; les modèles étaient en lui bien avant qu’il ne vienne fouler la terre du Sénégal. Comme le Marabout lisant les cauris, le peintre rentre en contact avec les entités, elles se mettent à parler. "Tu peins et le tableau te parle." Le prophète part, les arbres et les fleurs partent avec lui. Un monde familier et parallèle cohabite avec la réalité contemporaine. L’artiste est le seul médiateur qui puisse vivre des forces paradoxales et contradictoires sans entrer totalement dans la folie. Je dis, totalement, car toujours, il y fait des incursions mais une certaine ligne de vie le ramène chez les vivants en contact avec les morts, il les entend, les écoute pour transmettre leur message. Les mots arrivent tous seuls dans un univers de tradition orale ; il s’agit de canaliser la force de la lumière. Le tableau qui arrive est un étranger il vient révéler le secret des paroles qui se glissent chez les vivants et que le peintre reconnaît. Babacar guette les signes qui confirment qu’il appartient à sa lignée. "Le secret est quelque chose que tu sais et ne peux pas dire, mais tu peux le peindre, il reste dans le secret, comme si tu restais muré dans ta souffrance et un bruyant silence " Sortir de la pénombre ce qui est en soi pour entrer dans la lumière. L’élu, celui qui est choisi se met dans la lumière au vu de tous, il s’expose. Il assume les risques d’un chef et d’un initié. La couleur devient alors sa parole. Chaque couleur se bat pour attirer la lumière et le tableau introduit parmi nous celui qui attendait pour livrer sa parole.

© François Paul-Cavallier, Octobre 2000.