Trouver son chemin de vie


Retrouver le sens de sa vie

Nous sommes faits d’alluvions, c’est à dire de brisures du passé. Ainsi commence la Bible nous disant que Dieu a pris la poussière de la terre pour créer l’humanité. Nous partons de "pas grand chose" pour arriver à l’humain fini qui se penche au bord du tombeau pour retourner à la poussière. La vie comme un grand fleuve a commencé il y a des milliards d’années, à moins qu’elle ait toujours existé dans le cœur de Dieu. Elle ne s’interrompt pas, elle se transmet comme on passe un flambeau. De la rencontre de deux gamètes chargées du patrimoine (les alluvions) du père et de la mère jusqu’à la mort, la vie n’est qu’une suite d’attachements et de séparations pour entrer dans une nouvelle forme d’attachement que constitue la croissance. Entre chaque séparation et un nouvel attachement, il se passe un temps de deuil où s’élabore la cicatrisation de la perte afin de pouvoir se réinvestir dans de nouveaux liens sans lesquels la vie n’est pas possible. Le processus de deuil ne concerne pas que la mort des personnes que l’on aime. La mère le rencontre dans la dépression post partum, l’enfant dès les premiers sevrages. Chaque étape de changement implique un deuil de l’état passé pour s’ancrer ailleurs. Pour cela nous disons, bien que le mot deuil signifie traverser la douleur, il s’agit en fait d’un processus de vie car quand le deuil est fini la joie revient, la vie reprend son cours sur un autre plan. Le deuil est en lui-même la quête du sens. Avant de poursuivre plus avant, penchons-nous sur le mot sens qui a plusieurs usages : Au commencement de la vie nous développons le sens perception la découverte du réel passe essentiellement par nos organes des sens, au point que l’enfant croit que seul ce qu’il perçoit existe c’est l’époque où lorsqu’il couvre les yeux de ses mains il dit "coucou je suis caché tu ne peux pas me voir !". Une fois vécue cette période il accédera au sens signification les perceptions agréables ou douloureuses seront aussi chargées d’acceptions et de valeurs. C’est seulement lorsque les niveaux de sens perception et signification seront acquis et intégrés que pourra émerger le troisième niveau de sens qui est celui de l’orientation ou de la direction comme on parle du sens de la marche. Il est évident qu’il n’est pas possible d’appréhender vers quoi nous allons si au préalable nous n’avons pas la sensation d’exister avec le rapport au plaisir et à la souffrance ni la signification de ces sensations.

Les traumatismes, la survenue d’une perte à une époque trop précoce dans le développement d’un individu peuvent provoquer une réaction d’évitement car personne n’aime souffrir et la tentation est grande de fuir en évitant le réel et le sens qu’il véhicule. Éviter le processus de deuil c’est entrer dans un cycle d’attachements de compensation qui tentent de remplacer les liens perdus. Progressivement s’installe une situation de non-vie avec des attachements de substitution ; lorsque cette situation perdure alors survient la pathologie.

Viktor Frankl dernier disciple de S. Freud qui fut interné en camps de concentration par les nazis a observé que dans ces camps ce n’étaient pas les plus robustes qui survivaient mais ceux qui arrivaient à donner du sens à leur souffrance ; il formule : "A celui qui a un pour quoi ? peu importe le comment ". Il parle alors de la dépression noogène qui envahit les temps modernes qui n’est pas due à un traumatisme occasionnel mais qui s’installe comme un désinvestissement des relations et une perte de sens de la vie. Généralement les personnes atteintes ont tout pour être heureuses tant sur le plan matériel qu’affectif mais la vie est vide de sens. Cette situation résulte d’un comportement d’évitement chronique du deuil, une sorte d’anesthésie qui certes évite de sentir la souffrance mais qui comme toute anesthésie empêche aussi de sentir la jouissance. La démarche psychothérapique est l’épreuve de la vérité, une rencontre avec le réel dans ses aspects de plaisir comme de jouissance. Elle offre un espace clos et protégé pour l’élaboration du sens à tous les niveaux. Il y est question de cesser d’éviter, de rencontrer les blessures du passé non pour les oublier mais pour en tirer profit. Ce profit viendra de l’analyse des différents paramètres qui ont participés à la venue de la blessure. La part de la responsabilité individuelle est identifiée. Ainsi l’expérience de la souffrance loin d’être destructrice devient fondatrice. Les vieillards et tous ceux qui nous ont précédés témoignent que l’épreuve ne détruit pas et que lorsqu’elle est surmontée elle rend celui qui l’a subie plus fort et plus juste. Entrer en psychothérapie c’est reconnaître que nous sommes la seule personne au monde qui ne verra jamais en face notre propre visage alors que tous les autres voient notre visage. Nous avons besoin de la présence d’un tiers pour entendre et élaborer le sens de nos blessures. Il est question d’œuvrer sans dolorisme ni complaisance à se raconter mais dans une recherche de la vérité du "comment" nous en sommes arrivés là et du "pour quoi" nous avons faits ces choix qui nous mènent d’une façon quasi répétitive dans la même ornière. C’est au prix de cette rencontre avec soi-même que l’on retrouve le chemin de notre mission terrestre, que nous discernerons entre culpabilité et responsabilité ; la première concerne la faute la seconde la réponse. A chaque instant la vie nous interroge sur le sens, la signification, le chemin que nous voulons donner à nos actes et par là, à nos vies.

Comme tout processus de changement, la psychothérapie peut faire peur à celui qui doit s’y engager pour retrouver le fil de sa vie c’est une réaction bien légitime devant un chemin, vers une zone inconnue ou soigneusement évitée depuis des années. Il est des inconforts qui offrent la sécurité des habitudes. L’inquiètude de l’entourage est moins légitime, souvent il craint la remise en cause d’un équilibre mortifère qui a l’avantage d’un statu quo. Les relations symbiotiques installent une situation dominant-dominé où le dominé socialement apparent est bien souvent le dominant au niveau psychologique. Quand les "paillassons" deviennent "hérissons" il y a une remise en cause brutale qui peut aller jusqu’à la rupture de la relation. Qui pourra affirmer qu’il est préférable de maintenir une situation invivable au nom de l’équilibre plutôt que de tenter de faire évoluer les protagonistes vers une résolution, au risque d’une rupture définitive ? Les personnes en thérapie issues de couples qui n’ont pas su accèder à la parole pour résoudre leurs problèmes, sont éloquentes quant au gaspillage de cette souffrance qui, si elle avait été affrontée pour trouver une solution, servirait de fondation à la génération suivante.

J’emprunte à Portia Nelson un petit conte* en cinq chapitres en guise de conclusion chacun pourra reconnaître des attitudes qui, si elles ne sont plus d’actualité ont eu cours dans notre histoire.

I - Je marche dans une rue. Il y a un grand trou dans le trottoir. Je tombe dedans, je suis perdue… Impuissante, ce n’est pas ma faute. Il me faut une éternité pour en sortir.

II - Je marche dans la même rue. Il y a un grand trou dans le trottoir. Je fais semblant de ne pas le voir, je retombe dedans. Je n’arrive pas à croire que je suis au même endroit. Mais ce n’est pas ma faute. Il me faut encore longtemps pour en sortir.

III - Je marche dans la même rue. Il y a un grand trou dans le trottoir. Je le vois bien, je tombe quand même dedans… C’est une habitude. J’ai les yeux ouverts. Je sais où je suis. C’est ma faute. J’en sors immédiatement.

IV - Je marche dans la même rue. Il y a un grand trou dans le trottoir. J’en fais le tour.

V - Je prends une autre rue.

* Manuel d’Analyse Transactionnelle de Ian Stewart et Vann Joines, InterEditions, Paris. http://www.dunod.com/pages/ouvrages/ficheouvrage.asp ?id=49202

François PAUL-CAVALLIER psychothérapeute et formateur est l’auteur de nombreux ouvrages sur les démarches thérapeutiques dont : "Visualisation des images pour agir" chez InterEditions. http://www.dunod.com/pages/ouvrages/ficheouvrage.asp ?id=46994 Il annime chaque année au mois de Mai un temps de retraite et d’accompagnement psycho-spirituel intitulé "Trouver son chemin de vie".